lundi 25 novembre 2013

« La ville de Verdun, inviolée et debout sur ses ruines, dédie cette médaille en témoignage de sa reconnaissance »

A la fin de la guerre. Entre 1919 et 1921, sa famille, comme tant d’autres, a voulu récupérer son corps. De cet épisode, je ne sais pas grand-chose. Juste ce que m’a raconté ma grand-mère. C’est Alfred Doriot, mon arrière grand-père, l’époux d’Alice, lui aussi meurtri dans sa chair pendant le Premier Conflit mondial, qui y est allée en compagnie de Maurice, le père de Georges Graff. Sa mère était décédée depuis plusieurs années déjà.

Je sais qu’ils ont trouvé la tombe. Que quelqu’un a creusé et qu’ils ont ouvert le cercueil de bois. Le corps n’était plus identifiable. Restait sans doute sa plaque de poignet et ses chaussettes qui avait été envoyée par sa mère et sur lesquelles elle avait fait broder ses initiales : GG.

Le corps a été transporté comme les autres : par le train. Dans ces immenses convois funéraires de l’après-guerre. Destination Montbéliard et le cimetière du Haut où il repose toujours à côté de sa mère et de son père. Tous les ans le même cérémonial : nous allions déposer des fleurs le jour de la Toussaint sur cette tombe. Et puis, le temps a passé.

(La tombe au cimetière de Montbéliard)

(Détail)

Pris dans le tourbillon de la vie, j’avais laissé cette histoire dans un coin de ma tête. En 2000, mon activité professionnelle m’a amené du côté… de Verdun. Tout m’est revenu en mémoire et je suis allé très vite à Béthelainville. Un pèlerinage en quelque sorte.

Rapidement aussi, je suis allé faire un tour dans la crypte du Monument A la Victoire, situé au cœur de la ville de Verdun et situé à deux pas de mon travail. Dans ce saint des saints sont conservés les fiches nominatives des soldats ayant participé à la bataille de Verdun. J’ai cherché Georges Graff. En vain. Le gardien du lieu m’a demandé si ce soldat était titulaire de la médaille de Verdun. Je n’en savais rien. Je savais juste qu’il avait reçu la médaille militaire à titre posthume. S’il ne l’avait pas, je pouvais la demander pour lui auprès de l'association "Ceux de Verdun". Charge à moi de prouver qu’il avait participé à la bataille.

Ce que j’ai fait.

(La médaille de Verdun)

Quelques temps après j’ai reçu une lettre contenant ladite médaille et un diplôme signé du maire de Verdun et de trois associations : « On ne passe pas », « Ceux de Verdun » et la « Commission du Livre d’or ». Il y est aussi inscrit un extrait de la délibération du conseil municipal de Verdun du 20 novembre 1916 : « Aux Grands Chefs – Aux officiers – Aux soldats - A tous héros connus et anonymes, vivants et morts, qui ont triomphé de l’avalanche des barbares et immortalisé son nom à travers le monde et pour les siècles futurs, la ville de Verdun, inviolée et debout sur ses ruines, dédie cette médaille en témoignage de sa reconnaissance ».

Désormais, le nom de Georges Graff figure sur une fiche dans la crypte du monument A la Victoire et son nom est inscrit sous le n° 197.344 dans le Livre d’Or conservé dans le musée attenant aux salons d’honneur de l’hôtel de ville de Verdun.

lundi 18 novembre 2013

« Oh mon enfant, ne t’expose pas inutilement »

Georges Graff aussi a laissé quelques lettres et cartes derrière lui. Toujours laconique et ne donnant que très peu de détails. Il embrasse ses sœurs et ses parents, dit que tout va bien. Il laisse un petit carnet noir dans lequel il a consigné les premiers jours de sa mobilisation et les adresses de ses amis.

En février 1916, deux lettres sont parvenues jusqu’à moi : l’une de sa sœur Alice datée du 24 février : elle lui explique qu’elle a reçu les photos de famille et une où il est seul.

(La photo de la famille au complet prise à Montbéliard fin 1915 ou début 1916 ainsi que le portefeuille de Georges Graff troué d'un éclat d'obus)

« Surtout, soit toujours bien courageux et ne te laisse manquer de rien », ajoute-t-elle. Puis elle mentionne son futur mari, mon futur arrière grand-père : « Doriot doit être de tes côtés, il m’a écrit hier en me disant que peut-être il te verra. Lui aussi est de la partie, vous n’êtes pas exempts, tous les deux, car chaque fois qu’il y a un coup, vous en êtes ».

La lettre la plus émouvante est datée du 29 février 1916, le jour de sa mort. Elle émane de sa mère : (…) Oh mon enfant, ne t’expose pas inutilement. Je sais que tu feras ton devoir et je ne voudrais pas t’en empêcher par mes plaintes car je crois que Dieu te protègera, crois-le aussi cher Georges et tu sortiras vainqueur de tout ce vilain cauchemar »...

(Suite et fin au prochain billet)

lundi 11 novembre 2013

« Je crois que la mort me guette »

D’autres détails sur la mort de Georges Graff sont donnés par Raymond Cuvillier dans une lettre du 14 avril 1916.
On y apprend que le camarade avec lequel il était à Bethelainville et qui s’en sortit miraculeusement s’appelait Brand. Ce dernier « fit transporter Georges, qui avait été tué sur le coup, à l’ambulance où, en présence du major, il procéda à l’inventaire de ses affaires personnelles. Il s’occupa de la sépulture et fit le nécessaire que nécessitait cette triste circonstance. Il revint ensuite à la batterie où il nous apprit le malheur qui était arrivé. Nous fîmes tout notre possible pour aller le revoir ou assister à son enterrement mais aucune autorisation ne nous fut accordée en raison de la bataille qui était acharnée. Depuis ce moment, notre seul désir était d’aller revoir sa tombe et lui porter notre dernier adieu. L’autorisation nous a seulement été accordée il y a quelques jours ».

Emouvant, ce témoignage se poursuit, encore plus fort : « Nous ne voulûmes pas laisser partir notre cher camarade sans déposer sur sa tombe une preuve de notre amitié. Tous ses camarades de la batterie se sont cotisés et avec la somme de 80 F que nous avons recueillie, nous avons jugé à propos d’acheter une superbe couronne de fleurs artificielles de 30 F. Nous sommes allés le 11, moi, Métin et Brand, les déposer sur sa tombe ».


Agrandir le plan
(Localisation de la commune de Béthelainville)

Dans le petit cimetière de militaires qui se trouve à l’entrée de Béthelainville, il nous fut facile de retrouver sa tombe qui se trouve à peine à 100 mètres de l’endroit où il fut tué. Malgré que nos cœurs soient bien durcis par cette guerre, l’émotion nous gagna en nous retrouvant en présence de notre cher ami. Quoi que très matin, nous avons jugé bon de prendre une photographie de ce cher endroit et de vous l’envoyer comme souvenir (…) la couronne portait cette inscription : A notre regretté camarade, la 8e Batterie su 144e d’Artillerie Lourde », Métin tient la couronne. La photographie n’est pas très grande. Elle est faite pour être regardée dans un stéréoscope ».

L’épreuve photographique ne m’est pas parvenue, mais j’ai du la voir en regardant, enfant, les vues stéréoscopiques dans l’appareil de bois de mon arrière grand-mère en collant les lentilles de verres à la fenêtre du salon.

On en apprend encore davantage en lisant une lettre de ce fameux Métin, Émile de son prénom. Celui-là même qui tient la couronne mortuaire. Dans sa lettre du 31 mars 1916 il écrit : « (…) d’une commune entente avec Cuvillier, nous avions décidé d’écrire d’abord au pasteur (la famille est protestante luthérienne) pour vous préparer à une grande douleur. Ensuite, il nous a écrit afin que vous ayez plus de détails sur un aussi grand malheur ». Plus loin, il dit : « Il avait un caractère si gai que jamais on avait l’ennui. Il me disait un jour : je crois que la mort me guette, il avait passé près bien des fois. Quelques jours auparavant son dernier jour, un obus boche était tombé à cinq mètres de lui. La force de l’explosion avait été si forte, c’était un 380, qu’il avait été couché par terre avec violence, tous les éclats lui avaient passé au-dessus du corps et il n’avait reçu aucune blessure, il avait bien reçu une commotion. Quelques minutes après j’étais heureux de pouvoir lui serrer la main, il me racontait l’anecdote en souriant. Il a fallu que ces brutes, nos ennemis, nous l’enlèvent, nous séparent pour toujours de lui. On ne peut comprendre comment la vie est faite en ce monde ».

Un autre de ses camarades, un nommé Eugène Batey souligne : « (…) notre tour est peut-être prochain. Malgré cela, nous rassemblons toutes nos énergies pour le venger glorieusement ».

Je terminerai par la lettre des parents de son ami Raymond Cuvillier. Le couple vit en Haute-Marne à Fresnes-sur-Apance. Le 27 mars 1916, ils envoient une lettre aux parents de Georges Graff : « C’est avec la plus grande peine que nous venons d’apprendre la mort de votre fils bien aimé tombé glorieusement au champ d’honneur sous les murs de Verdun. Quel sublime sacrifice ! Donner sa vie à vingt ans pour défendre les siens. Pauvres enfants que ne devons nous pas à leur cher souvenir (…) Comment, pauvres parents, vous donnez une consolation ? Je ne puis que vous envoyer quelques mots d’encouragement en pensant que Georges est tombé pour vous : pour nous tous et que ses amis l’ont déjà vengé et le vengeront encore ». Après le mot de Jules Cuvillier, voici celui de son épouse et mère de Raymond, toujours dans la même lettre, qui s’adresse à la mère de Georges : « (…) Je puis vous dire que j’aimais votre fils car mon grand Raymond en tenait tant d’estime. Mon père, âgé de 78 ans s’est trouvé mal en apprenant la nouvelle (…) Je termine les larmes aux yeux, en vous embrassant bien fort pour votre cher fils chéri ».

mercredi 6 novembre 2013

« La mort a été instantanée »

J’en ai donc appris davantage sur la mort de Georges Graff lorsque l’on m’a donné un petit sac de toile de lin qui contenait une foule de documents personnels. Ceux-là mêmes qui ont été retirés de sa dépouille le jour de sa mort. Il y avait un petit portefeuille de cuir rouge au travers duquel était visiblement passé des éclats d’obus. Les papiers qu’il contenait étaient également troués.


Avec émotion j’ai déplié les papiers. J’en avais la chair de poule. J’y ai trouvé une photo de ses parents et des lettres de ses sœurs. A côté, il y avait un petit carnet avec les noms de ses camarades et un journal qu’il avait tenu depuis sa mobilisation. Il y avait aussi une chevalière d’aluminium qu’il avait lui-même réalisée et où étaient gravée ses initiales : GG. Il la portait à l’annulaire de la main gauche, comme une alliance. Je l’avais vu sur le portrait de chez mon arrière grand-mère.

(Le portefeuille de Georges Graff troué d'un éclat d'obus)

Et puis il y avait sa dernière lettre du 13 janvier 1916 écrite de Sivry-sur-Ante (une localité de l’Argonne marnaise) écrite à la mine de plomb sur ses genoux. Il y avait aussi les lettres de ses camarades écrites à sa sœur Alice. Dans ces lignes qui m’ont tiré des larmes, j’ai appris, dans les moindres détails, comment il avait trouvé la mort.

« Voici les circonstances dans lesquelles notre regretté camarade a été tué », écrit le 28 mars 1916, un certain A. Voisard, camarade de Georges Graff. « Un canonnier de la batterie ayant été commandé pour une corvée à Béthelainville, mon ami Georges, qui se trouvait de repose cet après-midi là, eu la très regrettable idée de vouloir l’y accompagner. Depuis le début de la bataille de Verdun, les Allemands bombardent les pays par intermittence tel que Béthelainville qui se trouve à l’arrière comme bien d’autres également. Ils se servent pour cela de leurs pièces de 190 mm dont on n’entend en aucune façon l’arrivée de l’obus, tellement elle est rapide et c’est malheureusement par surprise qu’il a été touché. Vous pouvez être certaine mademoiselle, qu’en aucune façon il a souffert, la mort a été instantanée. Son camarade qui se trouvait à côté de lui n’a absolument rien eu, le destin, en de pareils cas, vous est fatal. Il a été enterré dans un petit cimetière de Béthelainville par les soins de l’infanterie et tout ce dont il était porteur a été remis aux soins de l’autorité militaire. Vous trouverez facilement sa tombe plus tard, d’autant plus que la batterie lui a fait une croix sur laquelle ses inscriptions sont soigneusement gravées. Quant à ses affaires personnelles courantes, son ami Cuvillier vous renseignera à ce sujet ».

Son ami Cuvillier, c’est Raymond Cuvillier, qui accompagna chacun des périples des sœurs Graff (elles étaient quatre au départ) sur les traces de leur frère. Je ne l’ai pas connu. Il est mort en avril 1973, quelques jours seulement avant ma naissance… Je me souviens seulement de l’enterrement de son épouse quelques années plus tard dans le petit village de Fresnes-sur-Apance en Haute-Marne.

Raymond Cuvillier a écrit deux lettres aux parents de Georges Graff : Marie Virginie née Amstutz qui décèdera de chagrin en 1918 et Maurice Graff.

La première est datée du 30 mars 1916. Elle est très formelle : « Hélas oui madame, nous avons pleuré votre cher fils et nous le pleurons encore. Nous ne pouvons nous faire une idée qu’il n’est plus et pour moi particulièrement la réalité est dure. Je crois à certains moments entendre sa voix, le voir arriver souriant comme il l’était toujours et ma plus grande peine arrive le soir, lorsque je retrouve sa place vide à mes côtés. Nous étions ensemble depuis octobre 1913, nous ne nous étions jamais quittés et je ne vous répéterai jamais assez que votre fils était un modèle de fils et de soldat. Son courage était tel qu’il se moquait complètement du danger ».

Il est précisé qu’il est mort à l’entrée du village à 100 mètres du cimetière où il est enterré. Qu’il n’a pas souffert et qu’il tenait à la main sa blague à tabac.

Raymond Cuvillier reviendra tous les ans en pèlerinage sur ces lieux qui l'ont marqués à jamais…
(La suite au prochain billet)

vendredi 1 novembre 2013

Son portrait, je l’ai toujours vu dans le petit salon de musique

« J’habite à Verdun ». Quand on prononce ces mots, personne ne vous demande où la ville peut bien se situer. Les images de la Première Guerre mondiale sautent au visage de votre interlocuteur. La silhouette de l’Ossuaire de Douaumont se profile au milieu d’une forêt de croix blanches. Puis viennent en tête le fort de Douaumont et celui de Vaux. Et puis le pigeon du commandant Raynal parti de ce dernier bastion au plus fort du déluge de feu et d’acier.

Je ne suis pas originaire de cette ville, ni même du département de la Meuse où l’agglomération de 20.000 habitants trône au beau milieu. Ma vie professionnelle m’y a conduit. J’y réside depuis avec bonheur.

J’écrivais dans un précédent billet qu’il n’y avait pas de hasard… surtout en généalogie. Car Verdun n’était pas une inconnue pour moi. Loin de là. Depuis ma plus tendre enfance j’y suis venu au moins une fois par an. Avec mes grands-parents Liliane et Henri, mon arrière grand-mère Alice et sa sœur Hélène. Car elles aussi Verdun elles connaissaient bien.

En effet, leur frère Georges Graff, né le 8 juin 1892 à Beaucourt, alors dans le Haut-Rhin et aujourd’hui dans le département du Territoire de Belfort, a été tué le 29 février 1916 à Béthelainville, un petit village de Meuse, au tout début de la Bataille de Verdun.

Son portrait, je l’ai toujours vu dans le petit salon de musique chez mon arrière grand-mère Alice. Il était accroché à droite du piano et au-dessus d’une armoire contenant, entre autres, un stéréoscope de bois et des plaques de verre représentant des scènes de la Grande Guerre.

De fines moustaches, les bras croisés et l’uniforme du 114e RAL, un régiment d’artillerie lourde qui avait pris position sur la rive droite de la Meuse.


Georges Graff faisait partie du 3e Groupe du 114e RAL qui « fut formé le 17 juillet 1915 avec la 5e batterie bis du 9e régiment d’artillerie à pied et la 51e batterie du 13e régiment d’artillerie de campagne, et placé sous les ordres du capitaine Bourboulon », est-il noté dans l’historique du 3e Groupe du 114e RAL.

En effet, Georges Graff était avant le 114e RAL soldat au 9e RAP. Après la Bataille de Champagne à l’automne 1915, le 3e Groupe du 114e RAL quitte le front de Champagne au début de 1916 « et est envoyé à Verdun où l’on prévoyait une attaque importante de la part des Allemands. Mis en position sur la rive gauche de la Meuse, dans la région du fort de Bois Bourru, il occupa des emplacements hâtivement construits, sans abris de couchage à l’épreuve. Le personnel eut à exécuter, jour et nuit, pendant la phase critique de l’attaque allemande, des tirs intenses pendant lesquels il fut soumis, à plusieurs reprises, à des bombardements violents d’obus de gros calibres ».

Voilà pour la partie administrative. Mais comment est réellement mort Georges Graff ? C’est la question que j’ai posée plusieurs fois étant enfant. La réponse était invariablement la même : il était de repos mais avait tenu à accompagner un camarade de corvée d’eau. Un obus est tombé à ses pieds et l’a décapité.

Ce n’est que bien plus tard que j’ai eu d’avantage de détails. (La suite au prochain billet)