lundi 11 novembre 2013

« Je crois que la mort me guette »

D’autres détails sur la mort de Georges Graff sont donnés par Raymond Cuvillier dans une lettre du 14 avril 1916.
On y apprend que le camarade avec lequel il était à Bethelainville et qui s’en sortit miraculeusement s’appelait Brand. Ce dernier « fit transporter Georges, qui avait été tué sur le coup, à l’ambulance où, en présence du major, il procéda à l’inventaire de ses affaires personnelles. Il s’occupa de la sépulture et fit le nécessaire que nécessitait cette triste circonstance. Il revint ensuite à la batterie où il nous apprit le malheur qui était arrivé. Nous fîmes tout notre possible pour aller le revoir ou assister à son enterrement mais aucune autorisation ne nous fut accordée en raison de la bataille qui était acharnée. Depuis ce moment, notre seul désir était d’aller revoir sa tombe et lui porter notre dernier adieu. L’autorisation nous a seulement été accordée il y a quelques jours ».

Emouvant, ce témoignage se poursuit, encore plus fort : « Nous ne voulûmes pas laisser partir notre cher camarade sans déposer sur sa tombe une preuve de notre amitié. Tous ses camarades de la batterie se sont cotisés et avec la somme de 80 F que nous avons recueillie, nous avons jugé à propos d’acheter une superbe couronne de fleurs artificielles de 30 F. Nous sommes allés le 11, moi, Métin et Brand, les déposer sur sa tombe ».


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(Localisation de la commune de Béthelainville)

Dans le petit cimetière de militaires qui se trouve à l’entrée de Béthelainville, il nous fut facile de retrouver sa tombe qui se trouve à peine à 100 mètres de l’endroit où il fut tué. Malgré que nos cœurs soient bien durcis par cette guerre, l’émotion nous gagna en nous retrouvant en présence de notre cher ami. Quoi que très matin, nous avons jugé bon de prendre une photographie de ce cher endroit et de vous l’envoyer comme souvenir (…) la couronne portait cette inscription : A notre regretté camarade, la 8e Batterie su 144e d’Artillerie Lourde », Métin tient la couronne. La photographie n’est pas très grande. Elle est faite pour être regardée dans un stéréoscope ».

L’épreuve photographique ne m’est pas parvenue, mais j’ai du la voir en regardant, enfant, les vues stéréoscopiques dans l’appareil de bois de mon arrière grand-mère en collant les lentilles de verres à la fenêtre du salon.

On en apprend encore davantage en lisant une lettre de ce fameux Métin, Émile de son prénom. Celui-là même qui tient la couronne mortuaire. Dans sa lettre du 31 mars 1916 il écrit : « (…) d’une commune entente avec Cuvillier, nous avions décidé d’écrire d’abord au pasteur (la famille est protestante luthérienne) pour vous préparer à une grande douleur. Ensuite, il nous a écrit afin que vous ayez plus de détails sur un aussi grand malheur ». Plus loin, il dit : « Il avait un caractère si gai que jamais on avait l’ennui. Il me disait un jour : je crois que la mort me guette, il avait passé près bien des fois. Quelques jours auparavant son dernier jour, un obus boche était tombé à cinq mètres de lui. La force de l’explosion avait été si forte, c’était un 380, qu’il avait été couché par terre avec violence, tous les éclats lui avaient passé au-dessus du corps et il n’avait reçu aucune blessure, il avait bien reçu une commotion. Quelques minutes après j’étais heureux de pouvoir lui serrer la main, il me racontait l’anecdote en souriant. Il a fallu que ces brutes, nos ennemis, nous l’enlèvent, nous séparent pour toujours de lui. On ne peut comprendre comment la vie est faite en ce monde ».

Un autre de ses camarades, un nommé Eugène Batey souligne : « (…) notre tour est peut-être prochain. Malgré cela, nous rassemblons toutes nos énergies pour le venger glorieusement ».

Je terminerai par la lettre des parents de son ami Raymond Cuvillier. Le couple vit en Haute-Marne à Fresnes-sur-Apance. Le 27 mars 1916, ils envoient une lettre aux parents de Georges Graff : « C’est avec la plus grande peine que nous venons d’apprendre la mort de votre fils bien aimé tombé glorieusement au champ d’honneur sous les murs de Verdun. Quel sublime sacrifice ! Donner sa vie à vingt ans pour défendre les siens. Pauvres enfants que ne devons nous pas à leur cher souvenir (…) Comment, pauvres parents, vous donnez une consolation ? Je ne puis que vous envoyer quelques mots d’encouragement en pensant que Georges est tombé pour vous : pour nous tous et que ses amis l’ont déjà vengé et le vengeront encore ». Après le mot de Jules Cuvillier, voici celui de son épouse et mère de Raymond, toujours dans la même lettre, qui s’adresse à la mère de Georges : « (…) Je puis vous dire que j’aimais votre fils car mon grand Raymond en tenait tant d’estime. Mon père, âgé de 78 ans s’est trouvé mal en apprenant la nouvelle (…) Je termine les larmes aux yeux, en vous embrassant bien fort pour votre cher fils chéri ».

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